Vous travaillez avec un/des élèves qui ne semblent pas avoir acquis solidement la conception de nombre ?
Ils ne comprennent pas qu’une dizaine et dix unités c’est pareil ?
Que 4×3 ou 3×4 c’est la même chose ?
Que dans leur addition, la dizaine en trop peut basculer dans la colonne suivante sous forme de retenue ?
Et s’il n’avaient pas acquis la notion de conservation ?
La conservation des quantités, c’est quoi ?
C’est une des compétences logiques de base, tout comme la classification, l’inclusion, la sériation…
Des compétences bien utiles pour comprendre tout un tas de choses en mathématiques (mais pas seulement).
Comprendre la conservation, c’est savoir qu’une quantité reste identique même si elle change d’aspect, quelles que soient les transformations que nous effectuons sur elle :
- Si on distribue des cartes équitablement, j’ai toujours autant de cartes que mon voisin, même si j’en ai fait un petit tas et que lui, les a alignés en une grande ligne.
- 100g de fromage restent 100g de fromage une fois râpés, même s’ils forment une grosse montagne comparé au petit bout de fromage de départ.
- Si mon frère et moi avons les mêmes briquettes de jus de fruit, nous en avons toujours autant, même si mon frère l’a versée dans un verre haut et mince et moi dans un verre bas et large.
La mauvaise maîtrise de la notion de conservation des quantités peut être source de nombreux conflits entre enfants 😉
De plus, les enfants non conservants sont constamment dans le flou en mathématiques car ils ne savent jamais s’ils ont affaire à la même quantité.
Ils doivent sans cesse vérifier, recompter, hésitent, se contredisent…
Comment savoir si la conservation des quantités est acquise ?
On peut distinguer deux types de quantités:
- Les quantités discontinues : On peut les dénombrer (jetons, billes…). Les « 1 » sont visibles.
- Les quantités continues : On ne peut pas les dénombrer (liquides, sable, pâte à modeler…). Les « 1 » ne sont pas visibles.
Elles se mesurent avec les unités du système métrique (gramme, mètre, litre…)
Je commence toujours en testant la conservation des quantités discontinues (Plus facile à appréhender) :
On peut faire un petit TEST très simple et très classique (Conçu à la base par Piaget et Szeminska. Voir l’ouvrage « La genèse du nombre chez l’enfant« ).
Il suffit de quelques jetons de couleur.
Voilà comment je m’y prends :
Je dispose une rangée de 6 jetons rouges devant moi.
Je donne à l’élève un paquet de jetons bleus et lui demande d’en prendre pour qu’on en ait pareil.
(Le mot « pareil » est généralement mieux compris des enfants que « autant« )
On obtient normalement quelque chose comme ça :
Je m’assure que l’égalité est évidente pour lui :
« Est-ce que c’est toi qui en a le plus ? Est-ce que c’est moi ? Ou est-ce que c’est pareil ? Comment tu le sais ? »
Ensuite, j’opère, devant l’élève, des modifications sur une des 2 lignes. Par exemple, j’espace les jetons bleus.
« Et maintenant ? Est-ce que c’est toujours pareil ? Est-ce que j’en ai plus ou est-ce que tu en as plus ? »
Les enfants non conservants répondent qu’il y a plus de bleus.
Les enfants qui semblent avoir acquis la conservation répondent que c’est pareil.
Je demande toujours une justification :
« Comment le sais-tu ? »
Et je note la nature de la réponse de l’élève :
Argument logique : pas de retrait/ajout (On n’en n’a pas enlevé, pas rajouté) ou réversibilité (on peut remettre comme avant)
Argument empirique : comptage ou correspondance terme à terme
Et pour déceler les élèves qui sont en cours d’acquisition de la conservation, j’amène toujours une contre-proposition :
- Si la réponse de l’enfant est conservatoire :
« Regarde comme cette ligne est longue, n’y a-t-il pas plus de jetons ? » - Si la réponse est non-conservatoire :
« Mais tu te rappelles, avant, on avait bien placé un jeton rouge devant chaque bleu… un jour, un enfant m’a dit qu’il y avait la même quantité de rouge et de bleus. Maintenant, que crois-tu ? »
Je réitère avec quelques autres situations. Je repasse toujours par la situation de départ, et demande à l’enfant s’il on a bien pareil de jetons. Puis, je renouvelle les mêmes étapes avec une configuration différente :
En plaçant les jetons d’une ligne en tas :
Même questionnement que dans la situation précédente.
Dans cette situation, il n’est pas rare que les élèves qui n’ont pas acquis la conservation me disent :
« Il y a plus de bleus parce qu’il y en a 6 alors que les rouges il y en a plus qu’un. »
D’autres disent qu’il y a plus de rouges parce qu’ils montent plus haut.
On peut aussi placer les jetons en cercle :
La conservation des quantités discontinues est généralement acquise vers l’age de 5/6 ans en moyenne.
On peut ensuite poursuivre en testant la conservation des quantités continues (Les « 1 » ne sont plus visibles).
Pour tester la conservation des longueurs, je prends 2 baguettes de même longueur. Je les aligne.
Je demande à l’élève « Sont-elles de la même longueur ? » Généralement la réponse est oui. Si ce n’est pas le cas, je demande ce qu’il faudrait faire pour qu’elles soient de même longueur. (Certains élèves décalent légèrement l’une ou l’autre)
Puis, je les décale :
« Et maintenant ? est-ce que la bleue est plus longue ? La violette ? Où sont-elles de même longueur ? » « Comment le sais-tu ? »
La conservation des longueurs est acquise plus tard, vers 7/8 ans en moyenne.
Je m’arrête généralement là, c’est bien suffisant pour savoir si l’élève en question tirerait profit d’un travail spécifique sur la conservation.
Comment travaille-t-on la conservation ?
On fait manipuler beaucoup, on questionne, on laisse parler les enfants entre-eux, on contre-argumente… et on laisse la compréhension émerger.
Vaste programme. Je vais vous expliquer comment je procède pour la conservation des quantités discontinues.
Je me suis inspirée d’un trèèès vieux livre : Avant le calcul de B.Beauverd aux éditions Dellachaux Niestle – 1967 (Il n’est plus édité, mais on le trouve parfois d’occasion) et j’ai aussi créé des situations à partir du matériel que j’avais sous la main, dans ma classe.
J’utilise les différentes situations en fonction des envies, besoins… dans un ordre qui varie souvent.
J’ai récemment travaillé la conservation avec des groupes d’élèves de CP dans le cadre d’ateliers de prévention en mathématiques.
Tous les CP de mon école de rattachement y sont passés (2 séances par groupe).
A notre grand étonnement, beaucoup d’élèves n’étaient pas encore bien sûrs d’eux de ce côté-là. Je vais m’appuyer sur leurs propos pour vous expliquer tout ça.
Les gommettes
C’est la situation que je montre généralement en premier. C’est ma situation-test.
« Si j’ai un travail à faire avec beaucoup de gommettes, il vaut mieux que je prenne quelle planche ? »
Bien souvent, la majorité des élèves montrent une planche très rapidement, mais pas tous la même. (Souvent celle de droite tout de même).
« Très bien, c’est intéressant ». Et je ramasse immédiatement. Je reprendrai la même situation en fin de séance, ça me permet de voir comment les élèves ont évolué.
Le gilet
Moi : « Sur mon gilet, est-ce qu’il y a plus de boutons, plus de trous ou c’est pareil ? »
Des élèves répondent « Oui, c’est pareil, 1-1… 1-1… » d’autres comptent…
Si certains ne sont pas convaincus de l’égalité, on le boutonne :
Moi : « On est tous d’accord ? C’est bien pareil ? Ok ! Et maintenant ? » Je décale devant eux la rangée de boutons :
Les réponses sont immédiates :
« Ouh lala, il y a plus de trous ! Ça dépasse en haut ! »
« Non ! Plus de boutons ! Regarde celui-là : il est en plus, il a pas de trou ! »
« Mais non ! C’est pas possible ! regardez, on peut remettre comme avant si on re-décale, donc c’est toujours pareil ! » (Bon argument mais qui ne convainc pas toujours les camarades)
On essaye de boutonner…
Je laisse les échanges s’installer.
Parfois, pour relancer la conversation, je lance :
« J’ai une idée ! » Et je boutonne le bouton du bas avec le trou du haut.
Ça fait beaucoup rire tout le monde et les discussions repartent de plus belle :
« Tu vois, je te l’avais dis, le bouton tout seul il est pas en plus, il va avec le trou tout seul.
A ce stade-là, certains ne sont pas encore du tout convaincus. Mais je ne tranche jamais, je ne donne jamais la solution. Valable pour les situations qui suivront également. Je me contente souvent de reprendre les propos des élèves pour relancer les discussions : « Louise a dit que… Vous en pensez quoi vous ? »
Même si un certain nombre d’élèves n’a pas vraiment compris ce qui était en jeu, on passe à une autre situation pour relancer le débat.
Voitures et parking
Moi : « Est-ce que j’ai plus de voitures bleues ? Plus de voitures rouges ? Ou c’est pareil ? »
Élèves : « Il y a plus de voitures rouges ! »
Moi : « Que faudrait-il faire pour qu’il y ait autant (=pareil) de voitures bleues que de voitures rouges ? »
Élèves : « Il faut rajouter 2 bleues ! » « Ou enlever 2 rouges ! » (Etape importante pour induire l’argument logique lors de la seconde phase)
Moi : « Ok… »
Moi : « Et maintenant ? Pareil ou pas pareil ? » A ce stade-là, en général, tout le monde est d’accord : « C’est pareil »
Moi : « Maintenant je vais garer les voitures dans un parking. » (plaque de mousse, tracés au feutre Posca blanc) :
Moi : « Et là ? Plus de voitures bleues ? Plus de voitures rouges ? Ou c’est pareil ? »
Élèves : « Ouh… y’a plus de rouges ! Regarde, ça prend tout le parking ! »
« Oui, mais y’a des place vides, ça compte pas »
« Et les bleues on pourrait les garer pareil que les rouges et ça ferait pareil »…
Bref, vous avez compris le principe : la réflexion collective avance.
C’est souvent au cours de cette situation que tout le monde commence à se mettre d’accord.
« On n’en a pas enlevé, pas rajouté… c’est pareil ! »
On peut proposer une autre configuration pour consolider les découvertes :
Les arbres
Moi : « Plus de pommiers ? De bananiers ? De cerisiers ? Ou c’est pareil ? »
Élèves : « C’est pareil ! »
Moi : « Je vais les planter dans des champs «
Moi : « Où y a-t-il le plus d’arbres ? Dans le champs de pommiers ? De cerisiers ? De bananiers ? Ou c’est pareil ? »
Les bananiers créent souvent la confusion chez certains élèves :
« Y’a moins de bananiers, regarde : y’en a qu’un ! »
« Mais non, regarde, ils sont collés mais ils sont tous là : y’a 4 ! »
« 4, 4 et 4 ! »
« Oui, mais ceux-là prennent plus de place ! »
Ça discute, ça discute…
Les crayons et les pots
Cette situation aide bien les plus récalcitrants.
Vous me voyez sans doute arriver avec mes gros sabots…
« Plus de crayons ? Plus de pots ? Ou pareil ? »
« Pareil ! »
« Oui. Et maintenant ? »
Élèves : « Y’a plus de crayons ! Ça dépasse des pots »
Moi : « Et si je veux mettre un crayon dans chaque pot alors, qu’est-ce qu’il se passera ? Il va me rester des crayons ?
Élèves : « Bah non ! On avait vu que c’était pareil… ah ! Mais alors c’est toujours pareil même si on a bougé les pots ! On peut remettre comme avant ! »
« En fait on a l’IMPRESSION qu’il y a moins de pots mais c’est pas vrai. C’est juste parce que tu les as rapprochés les uns des autres »
On peut effectivement revenir à la situation initiale si nécessaire… ou essayer de placer les crayons dans les pots :
Ouf ! Ça marche !
Bateaux, cerceaux, Playmo et cie
D’autres possibilités, que j’utilise généralement moins… mais libre à vous de trouver celles qui conviennent, en fonction du matériel dont vous disposez.
La mise en oeuvre suivante a l’avantage de ne nécessiter que du papier (5 bateaux rouges, 5 bateaux verts, un lac bleu clair, un lac bleu foncé, une île jaune). Le fait d’attribuer une couleur à chaque élément ou collection facilite les discussions : on parle des bateaux rouges ou du lac bleu foncé et tout le monde sait tout de suite de quoi on parle. Plus simple que « ce lac » ou « celui-là »
Dans la proposition suivante, même avantage que les crayons : on peut placer les personnages dans les cerceaux et poser des questions pour anticiper ce qu’il va se passer.
Fin de séance
Vous vous souvenez des gommettes de départ ?
Généralement, quand on les reprend à la fin, ce qui est frappant, c’est que les élèves ne répondent plus du tac-au-tac.
Ils marquent un temps d’arrêt pour réfléchir et analyser la situation.
Beaucoup se mettent à compter… et on s’aperçoit avec surprise que toutes les planches contiennent le même nombre de gommettes !
Bon, dans mon exemple, les résultats ont été assez rapides car c’était un travail de classe avec des élèves lambdas.
Quand on travaille uniquement avec des élèves qui rencontrent des difficultés dans le domaine de la conservation, ça peut être plus long. Mais il se passe souvent beaucoup de choses dans leur tête d’une séance à l’autre. On est parfois surpris !
Pour consolider les acquis
Je me suis fabriqué un jeu de cartes avec des cartes vierges et des gommettes. Sur chaque carte, j’ai collé de 1 à 8 gommettes, si c’était à refaire, je crois que j’irais jusqu’à 10. 2 paires de cartes de chaque quantité (1 paire jaune, 1 paire verte), mais représentées avec des configurations différentes (sauf pour le 1 et le 0) :
Je trouve que le jeu idéal, avec ces cartes, c’est la bataille.
On cherche qui a le plus de points et si c’est pareil, il y a bataille.
Les enfants ont spontanément réinvesti ce qu’on avait fait auparavant :
« Tu as vu ! On dirait que Marie a plus que Théo mais en fait non. Ils ont 7 et 7. C’est parce que les points de Marie ils sont tous ratatinés ensemble. »
Pour gagner un peu en fluidité au cours du jeu, après quelques tours, on peut demander aux élèves d’annoncer le nombre de points quand ils jouent une carte.
Pour varier un peu ensuite, vous pouvez jouer au mistigri (ou pouilleux) en rajoutant une carte adéquate (autocollant piqué à mes enfants)
Sous forme de Loto, ça peut fonctionner aussi.
Vers les quantités continues
Si on veut travailler sur les quantités continues (très intéressant également), une bonne transition peut être les transvasements de billes (quantité discontinue), pour évoluer vers les transvasements de liquides (quantité continue), en utilisant des contenants différents (bouteilles hautes et fines, verres bas et larges, plats…)
Pour la conservation des longueurs : baguettes (voir test), ficelles ou cordes (étalées en lignes droites, en cercle, mises en tas, enroulées sur un bâton…)
Pour la conservation des masses : sortez pâte à modeler et balances à plateaux. Prendre 2 boules de pâtes de même masse. Faire des transformations sur une des deux boules. La boule de pâte à modeler devient-elle plus ou moins lourde si on la sépare en 2 ? Si on fait un trou dedans ? Si on l’aplatit ?
Le pèse-personne est aussi un très bon outil d’exploration (est-ce que je pèse pareil si je me mets sur une jambe ? En boule ? Avec les bras en l’air haut vers le ciel ?)
L’essentiel étant toujours de trouver la manière d’amener les élèves à réfléchir sans leur donner les solutions pour que leurs conceptions puissent évoluer. On trouve de très bonnes mises en oeuvre de tout ça dans le livre dont je vais vous parler dans le paragraphe suivant.
Pour aller plus loin
Pour tout comprendre sur les compétences logiques (conservation mais aussi classification, sériation etc.) et avoir des pistes très concrètes d’activités pour les travailler, je vous conseille un livre que j’aime et que j’adore : Les Maths à toutes les sauces de Bernadette Guéritte-Hess et cie .
On y apprend toutes les démarches et raisonnements pour travailler intelligemment dans diverses situations assez simples à mettre en oeuvre : transvasement de liquides, manipulation de marrons, constructions de balances rudimentaires etc.
Utile de la maternelle au CM2. Ce livre est une pépite.
Les Maths à toutes les sauces
de Bernadette Guéritte-Hess, Isabelle Causse-Mergui et Marie-Céline Romier
Un autre ouvrage, pour comprendre les bases des troubles d’apprentissage en mathématiques : Les troubles d’apprentissage en mathématiques, de Rémi Samier et Sylvie Jacques, aux édtitions Tom Pousse (dans la collection « Les tutos ». Des petits livres qui apportent un condensé d’informations fiables sur les apprentissages et les troubles neurodéveloppementaux.)
J’essayerai de compléter cet article avec un article sur la sériation puis un autre sur la classification. Si vous voulez être informé de la parution des prochains articles, vous pouvez vous inscrire à la Newsletter de Maitresseuh
Et vous ? Vous abordez la conservation des quantités ? Comment ?
Bonjour,
Merci pour vos astuces et recommandations. Je suis enseigante spécialisée et les enfants (6-8 ans) que j’accompagne n’ont pas acquis cette notion de conservation.
Je vais donc m’atteler dès demain à suivre vos exercises.