Aujourd’hui, je vous propose un article qui sort un peu de l’ordinaire.
J’ai découvert il y a peu le travail de Camille Colombain, professeure des écoles et Art-thérapeute
Aujourd’hui enseignante indépendante, elle travaille auprès d’élèves en difficulté et les aide à retrouver le gout d’apprendre.
Elle anime des ateliers à Biarritz, mêlant expression libre, contes, philosophie…
Archi-convaincue de l’utilité de son approche dans nos écoles, j’ai eu l’idée de lui laisser la parole ici.
Elle a accepté, j’en suis ravie. Je lui laisse donc le clavier :
Au commencement…
Professeure des écoles, je me suis formée à l’art-thérapie à l’issue de six mois passés en tant qu’enseignante en ITEP (Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique).
C’était un an après l’obtention de mon concours, j’étais jeune et inexpérimentée…Face à ces enfants au passé complexe et douloureux, je me suis trouvée bien démunie.
J’ai déployé toutes mes forces et toute ma créativité pour essayer de redonner à ses enfants le goût d’apprendre.
Mais les comportements de défense qu’ils avaient construits, souvent d’une grande violence, faisaient inévitablement barrière.
Peu à peu, j’ai renoncé aux apprentissages et me suis consacrée à rétablir un lien de confiance entre eux et moi.
Car malgré toute ma bonne volonté, à leurs yeux, je représentais cette Ecole qui les avait rejetés.
Il n’était plus question d’essayer d’ajouter quoique ce soit à leur vase déjà trop plein, mais au contraire, de libérer un peu d’espace dans leur esprit cabossé et saturé.
Alors j’ai pensé qu’il fallait peut-être que l’on se rencontre vraiment. Pour cela, je devais leur donner la possibilité d’être ce qu’ils sont au-delà de leur histoire, et leur montrer qui j’étais, au-delà de ma posture d’enseignante.
Comment pouvais-je leur donner un peu de moi ? Qu’est-ce qui allait faire le lien entre nous ?
L’art est venu à moi comme une évidence. J’ai toujours aimé les arts plastiques. Depuis l’enfance, bricoler, créer, inventer, rénover sont des moyens qui me permettent de me recentrer et de trouver une liberté intérieure.
J’ai suivi cette intuition et leur ai proposé d’aller dans cette pièce de l’établissement qui servait autrefois d’atelier.
Ensemble, on a exploré l’argile, expérimenté le collage, la peinture, sans attente, ni consigne ni jugement.
Dans ces moments précieux de partage, un lien s’est progressivement tissé, certains regards ont changé et les mots durs se sont adoucis.
Evidemment, il n’y a pas de recette miracle, le chemin pour ces enfants reste long et difficile, mais je les ai quittés avec l’intime conviction que la créativité est une force émancipatrice et que l’activité artistique peut être un outil puissant de résilience.
Ces enfants empêchés de penser
Aujourd’hui art-thérapeute et enseignante indépendante, je travaille avec des enfants qui se trouvent en difficulté scolaire.
Pour la plupart, malgré les étiquettes qu’on leur donne, il s’agit d’enfants qui n’ont tout simplement ni la tête ni le cœur aux apprentissages.
Comme l’explique Serge Boimare, tout apprentissage implique un retour à soi dans le sens où il provoque de la frustration et de l’incertitude.
Lorsqu’un enfant ne dispose pas d’un monde interne lui permettant de faire face à ces moments de doute, il va inventer toutes sortes de moyens pour figer les processus de penser et bloquer l’accès aux apprentissages.
Ces enfants empêchés de penser, Serge Boimare
J’ai pu remarquer qu’un enfant dit « en difficulté scolaire » est souvent un enfant « empêché de penser » qui a avant tout besoin de sécuriser et d’enrichir son monde intérieur.
C’est donc à la lumière de cette nécessité que j’ai construit ma propre démarche qui s’articule autour de 4 axes :
- L’expression libre à travers l’art plastique,
- Le développement de l’intelligence émotionnelle,
- La lecture de contes
- Les ateliers philosophiques.
L’expression libre
C’est un temps où les enfants sont invités à créer avec le matériel proposé sur la table, sans consigne et sans attente de résultat esthétique.
C’est une démarche qui met l’accent sur le processus et non sur la production finale.
Le dispositif, que je choisis à l’avance, joue le rôle d’invitation créative :
- peinture avec différents outils
- divers matériaux avec de la colle
- argile
- boîtes ou bouteilles vides invitant au recyclage
- peinture à quatre mains,
- peindre sur un support original,
- peindre avec les doigts ou avec des outils différents du pinceau
- ou simplement « explorer les bleus »
Les possibilités sont infinies !
L’idée est de varier le dispositif au maximum afin de stimuler et de nourrir leur créativité.
Au début, certains peuvent être un peu angoissés par la feuille blanche ou l’absence de consigne, mais il leur faut peu de temps pour dépasser les conditionnements et apprécier la joie de créer librement.
Afin d’enrichir leur bagage culturel et leur imaginaire, je leur montre régulièrement toutes sortes de productions d’artistes, et leur lis des histoires en début d’atelier, les enfants peuvent s’en inspirer ou pas.
L’expression libre* ouvre un champ d’expériences où la matière peut être explorée spontanément.
Une aire de jeu où tout peut être exprimé et déposé là, sans jugement.
C’est un espace de liberté qui permet à la fois le déploiement de la créativité et la décharge émotionnelle, en contournant les mots parfois manquants.
* L’expression libre peut s’ouvrir à d’autres champs artistiques comme la danse, la musique, le théâtre… en fonction des compétences de chacun.
Des pistes à explorer :
L’intelligence émotionnelle
Envisageable à partir de 5/6 ans selon les enfants, lorsque le cortex pré-frontal commence à se développer.
Apprendre à identifier ses émotions et à les exprimer permet de mieux les gérer et de pouvoir comprendre celles des autres.
Cela œuvre évidemment en faveur du vivre ensemble, et permet à chacun d’être plus disponible et impliqué dans les apprentissages.
Les livres d’Eline Snel et les Cahiers d’Isabelle Filliozat sont de bons outils pour développer cette conscience de soi chez les enfants sous forme de rituels quotidiens.
Ils adorent parler de leur météo intérieure et dessiner les émotions qui les traversent.
J’utilise personnellement la craie grasse et le pastel sec propices au gribouillage et à l’abstrait.
Le dessin les yeux fermés est très apprécié des enfants et leur permet d’être plus en contact avec leurs ressentis.
Des séances de relaxation sont également idéales pour accompagner les enfants dans cette démarche.
Le conte
Le conte est connu pour ses vertus thérapeutiques.
En s’identifiant aux personnages, les enfants rejouent inconsciemment des histoires vécues et construisent eux-mêmes des solutions libératrices.
Le conte est également un accès à la culture et il est en ce sens une aide précieuse pour les enfants en difficulté scolaire.
Quelques ouvrages utiles :
Il était une fois… 24 contes thérapeutiques de Gilles Diederichs
et la collection des contes thérapeutiques chez Eyrolles :
L’atelier philosophique
A partir d’une question, d’un conflit ou d’un événement, les enfants expriment leurs idées et les confrontent à celles des autres.
Ils apprennent à argumenter, à discerner et à écouter.
Ainsi, ils comprennent que la pensée n’est jamais figée et qu’elle s’enrichit sans cesse tout au long de la vie.
Ces débats renforcent leur monde intérieur dans le sens où ils participent à la construction d’une réflexion personnelle et d’un esprit critique.
Ils sont l’opportunité pour les enfants d’aborder les grandes questions qui régissent la vie et qu’ils se posent en permanence :
- Quel est le sens la vie ?
- Pourquoi faut-il mourir ?
- Quelles différences en l’amour et l’amitié ?
- Faut-il toujours dire la vérité ?
- Etc
Ces ateliers sont également enrichissants pour les plus timides qui tirent profit de la parole des autres et nourrissent leur imaginaire parfois bloqué.
Le débat philosophique peut être mené en groupe classe ou en plus petits groupes.
Ressources :
Pour conclure
Ces pratiques font appel à d’autres formes d’intelligences, elles mobilisent les forces constructives de l’enfant et le rendent acteur de son bien-être.
Naturellement, elles favorisent l’estime de soi et la confiance dans la vie.
Je rêve d’une école qui forme ses enseignants à ces pratiques, une école où le SAVOIR-ÊTRE aurait sa juste place auprès des SAVOIR-FAIRE dans les programmes scolaires.
Pour poursuivre la réflexion
Un livre
Des formations
Formation en art-thérapie : Institut PROFAC à Arles (formation éclairée par la psychanalyse) et INECAT à Paris (riche en pratique).
Formation atelier Philo : Fondation SEVE
Une page Facebook
Vous pouvez retrouver Camille sur sa page Facebook (une vraie pépite pleine de trésors) :
Crédits photo : Camille Colombain
Et vous ? Vous utilisez ces approches avec vos élèves ? Vous nous racontez ?
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